Médias et articles de presse

Le courrier - L’autodéfense, ça s’apprend
Lundi 14 décembre 2013
Christiane Pasteur A Genève, l’Ecole de culture générale Jean-Piaget propose depuis 2013 un atelier d’autodéfense réservé aux élèves filles.Nous l'avons suivi avec elles.
Alors que leurs camarades de classe ont congé, elles sont une douzaine d’élèves de 16-17 ans, et quatre membres du corps enseignant et de l’encadrement scolaire, à être restées à l’école en ce mercredi après-midi. Volontaires pour participer à un atelier d’autodéfense non-mixte intitulé «Affirmation de soi» et organisé, depuis 2013, sous la houlette du groupe égalité de l’Ecole de culture générale (ECG) Jean-Piaget, à Genève.
Un projet pilote qui a reçu le soutien du Département de l’instruction publique (lire ci-dessous) et s’inscrit plus largement dans le cadre de la «lutte contre les discriminations, qui relève de notre rôle de service public», selon les mots de Francine Novel, directrice de l’établissement
Il est 12h30, l’atelier peut débuter. Nadia Borel et Nicolas Pontinelli, seule présence masculine tolérée, dispensent le cours, en forme de «trousse de premiers secours». Formés par l’association suisse Pallas, ils ont déjà douze années d’expérience à leur actif. D’emblée, une élève leur demande pourquoi le cours est réservé aux filles, «alors que pleins de garçons, aussi, sont mal dans leur peau et peinent à s’affirmer».
«Organiser une activité réservée aux filles suscite beaucoup de questions. Certains enseignants et élèves garçons ne comprennent pas, se sentent exclus», avait prévenu Francine Novel. Et de rappeler que la réflexion sur la construction de la masculinité se mène dans le cadre des cours de santé et d’éducation sexuelle. Selon elle, le lien entre estime de soi et possibilité de se consacrer à des études est très clair. «Le rapport au savoir est d’autant plus mauvais que l’est l’estime de soi.»
Savoir poser les limites«L’atelier non-mixte permet de se sentir à l’aise, sans regard jugeant ou critique, rapport de force ou jeu de séduction», répond Nadia Borel. «Notre travail est de répondre aux besoins spécifiques des femmes, plus nombreuses à être victimes d’agressions que les hommes», ajoute son collègue Nicolas Pontinelli. «Vous allez prendre conscience de vos propres forces, acquérir des techniques simples, c’est-à-dire celles qui fonctionnement quand nos moyens sont limités par la peur, pour ne pas rester paralysée et oser se défendre.»
Le cours commence par des jeux de rôle, histoire de travailler sur le langage corporel, l’attitude dégagée au quotidien, inconsciemment. Puis vient la défense verbale, face à un collègue ou un chef trop affectueux, savoir dire «je ne veux pas qu’on me touche, ça m’est désagréable». «Attention à ne pas émettre de mauvais signaux avec son corps, il faut être très clair sur ce qu’on autorise l’autre à faire ou pas. Plus vite on sait ce qu’on veut, plus vite on coupe l’escalade, moins on est en danger. Ce qui est d’autant plus difficile qu’on vous complimente», avertit Nadia Borel. «Mais on est en droit de poser ces limites et d’attendre de l’autre qu’il les respecte.»
Enfin, en dernier recours, la réplique physique en cas d’agression: apprendre à se déplacer, se protéger, respirer, garder l’équilibre, viser les zones de vulnérabilité chez l’agresseur. «Nul n’est autorisé à vous agresser. Vous êtes obligée de vous défendre physiquement et de devoir faire mal. C’est un passage difficile car la plupart des femmes n’ont jamais frappé, elles sont plutôt élevées dans l’optique d’être de gentilles petites filles», reconnaît Nadia Borel. «Mais toutes en sont capables. Vous allez voir la force que vous avez!»
Vive émotionAu départ, les participantes ne se connaissent, voire ne s’estiment pas forcément. Rapidement viennent les rires, l’ambiance se décontracte. Au fil des heures, le climat évolue. Au manque d’assurance, à la gêne d’utiliser leur corps, de crier, d’entrer en contact physique avec l’autre, succède une attitude plus déterminée, plus affirmée, une prise de conscience de leur potentiel. Un lien de solidarité se crée également.
Avec des moment d’émotion. Comme lors de l’exercice de la planche. Chacune est appelée à venir au milieu du cercle formé par ses camarades pour briser une planche de bois avec la tranche de la main. Impressionnant, forcément. D’autant que Nadia Borel a demandé aux élèves de noter sur cette planche quelque chose en elles dont elles souhaitent se débarrasser. Toutes ne révéleront pas de quoi il s’agit. D’autres évoquent le droit à continuer à vivre malgré le départ d’un être cher, le droit à la différence, la culpabilité, la peur, le harcèlement scolaire. Rendant universelles des problématiques relevant jusqu’alors du seul individu. Les larmes ne sont jamais loin. Epreuve réussie. «Voilà ce qui se passe quand on dépasse les limites avec vous!», se réjouit Nadia Borel
La dernière heure de la formation permet aux participantes de se retrouver en situation de danger, mais dans un cadre sécurisé. Pour la première fois de leur vie sans doute, elles ont le droit, «et même le devoir», de frapper un homme, Nicolas Pontinelli en l’occurrence, qui joue le «pantin», le rôle de l’agresseur, parfaitement protégé pour l’occasion.
Coups de pied, de coude et autre «patte du tigre». Les élèves ne perdent pas leur sang-froid. L’agresseur est à terre. «C’est formidable que ce cours soit dispensé dans le cadre de l’école. En particulier parce quand on rentre le soir chez soi, on n’est pas forcément accompagnée», raconte une participante. «Ce que j’ai appris ici, je ne l’aurais jamais appris dans ma famille, on n’éduque pas les filles ainsi. Et pourtant je connais des personnes qui auraient bien eu besoin de ce genre de formation», abonde une de ses camarades.
«J’espère que ça n’arrivera jamais car vous aurez réussi à anticiper les situations de danger. Mais au cas où, sachez que vous avez les ressources, il faut se défendre jusqu’au bout. Gardez en tête que vous aurez toujours un moment pour vous libérer», conclut Nadia Borel. «On ne renonce jamais, on tente toujours de se sortir d’affaire!» Il faut émanciper les filles comme les garçons»
Mais est-ce bien le rôle de l’école de travailler sur l’affirmation de soi des élèves et de proposer des cours de autodéfense? On pose la question, et quelques autres, à Franceline Dupenloup, responsable des questions d’égalité au Département de l’Instruction publique (DIP) du Canton de Genève
Est-ce le rôle de l’école que de proposer des cours de autodéfense à ses élèves et de travailler sur l’affirmation de soi?
Franceline Dupenloup: L’école estime que c’est son travail d’émanciper les filles comme les garçons. Ainsi dans le cadre des cours santé, les enseignants travaillent sur la déconstruction des stéréotypes véhiculés par les clips, la publicité et les médias – femmes hypersexualisées et soumises, situations de rivalité – et dont les filles sont submergées. Autant de modèles importés auxquels elles se sentent obligées de se conformer et susceptibles de créer de l’agressivité et du jugement entre filles. Car ces carcans engendrent de la souffrance et limitent leur liberté individuelle. Le décrochage scolaire est notamment lié à des processus de harcèlement et de mise à l’écart. Mieux vaut donc agir en amont que compter les coups.
Le DIP est-il réellement proactif sur ces questions?
Le Conseil d’Etat a dit que l’égalité était une de ses priorités. Mais il n’y a pas de budget dédié, les projets se réalisent sur une base volontaire et les établissements doivent à chaque fois monter des dossiers pour obtenir un financement ponctuel. Malgré cela, dans un nombre impressionnant d’établissements du secondaire I et II, et même à l’école primaire, on travaille sur ces questions de banalisation des insultes, du modèle de virilité, de la hiérarchie entre garçons et filles. De façon plurielle: conférences, présentations de films courts, lectures, prix Emilie-Gourd, etc.
Concrètement à quoi servent ces ateliers de autodéfense et pourquoi sont-ils non mixtes?
L’objectif, plutôt que de mettre les filles dans une position défensive et les garçons dans celle de coupables présumés, est de faire travailler les filles sur la réhabilitation de l’estime de soi. Ce qui, dans une première étape, est plus facile dans un groupe non-mixte. Nous visons à travailler sur leur capacité à dire «j’existe, j’ai ma place dans l’espace public, je ne rase pas les murs». A grandir pour se sentir plus libre.
N’est-ce pas d’une certaine façon paradoxal d’enseigner des techniques de combat pour résoudre des problèmes de violence?
Il s’agit uniquement d’auto-défense, c’est-à-dire savoir comment répondre en cas d’agression en engageant son corps, avoir conscience de sa capacité à ne pas être terrorisée ou repliée sur soi, savoir évaluer le danger et répliquer de façon adéquate. Certaines seront plus à l’aise avec des mots, d’autres avec leur corps. Nous devons ouvrir des voies différentes pour happer des élèves qui parfois sont enfermées dans le mutisme et la résignation.
Certains garçons sont également victimes de violences. L’école intervient-elle pour les aider, et si oui comment?
Nous y travaillons de manière différenciée, en interrogeant avec eux les stéréotypes liés à la masculinité. En effet, la violence s’abat également sur les jeunes garçons, qu’ils soient homos ou hétéros, parce que l’image qu’ils renvoient, parfois simplement liée à leur façon de s’habiller, ne correspond pas au modèle, illusoire, d’une virilité fabriquée.
En quoi cette souffrance s’exprime-t-elle différemment chez les garçons et les filles?
Chez les garçons, ce qui est brisé, c’est la parole. L’expression des émotions, qui parfois sont comme gelées, est un long chemin pour beaucoup d’entre eux. Chez les filles, le corps est enfermé dans des codes vestimentaires, un espace social où les insultes sexistes sont banalisées, une attitude de repli sur soi.
Observez-vous une évolution de la situation par rapport à il y a dix ou vingt ans?
Nous assistons à un réveil après une période où on pensait que les problèmes se régleraient tout seuls. Il y a eu une banalisation des insultes contre les filles et les homosexuels, on s’est beaucoup trop habitué au dénigrement des filles et des minorités. Aujourd’hui, on bénéficie d’une nouvelle génération d’enseignants, mais aussi de l’arrivée à des postes de direction de personnes qui veulent prendre en main le climat scolaire en réalisant des projets sur la base de valeurs émancipatrices, et ce par le biais d’actions qu’on peut qualifier d’exemplaires. Enfin la FAPPO, la Fédération des associations des parents du postobligatoire, est notre alliée indéfectible.
Les écoles de culture générale sont-elles davantage concernées par ces problématiques de violence que les collèges, par exemple?
Non, nous les retrouvons partout. Par contre, nous devrons désormais déployer un effort spécifique dans les filières professionnelles. Au Centre de formation professionnelle construction (CFPC), on a rencontré des problèmes car les filles y sont tout-à-fait minoritaires.
Ces projets permettent-ils vraiment de faire évoluer le climat scolaire?
Selon les directions, une fois qu’un projet a été bien mené, le climat scolaire s’en trouve apaisé. Dans des classes où la parole circulait difficilement, des choses ont pu être dites, ou révélées parfois. Cela peut permettre de décoincer des situations potentiellement dangereuses et porteuses de violences ou d’inverser un processus de mise à l’écart et de créer de la solidarité.
PROPOS RECUEILLIS PAR CPR Le Courrier
Christiane Pasteur A Genève, l’Ecole de culture générale Jean-Piaget propose depuis 2013 un atelier d’autodéfense réservé aux élèves filles.Nous l'avons suivi avec elles.
Alors que leurs camarades de classe ont congé, elles sont une douzaine d’élèves de 16-17 ans, et quatre membres du corps enseignant et de l’encadrement scolaire, à être restées à l’école en ce mercredi après-midi. Volontaires pour participer à un atelier d’autodéfense non-mixte intitulé «Affirmation de soi» et organisé, depuis 2013, sous la houlette du groupe égalité de l’Ecole de culture générale (ECG) Jean-Piaget, à Genève.
Un projet pilote qui a reçu le soutien du Département de l’instruction publique (lire ci-dessous) et s’inscrit plus largement dans le cadre de la «lutte contre les discriminations, qui relève de notre rôle de service public», selon les mots de Francine Novel, directrice de l’établissement
Il est 12h30, l’atelier peut débuter. Nadia Borel et Nicolas Pontinelli, seule présence masculine tolérée, dispensent le cours, en forme de «trousse de premiers secours». Formés par l’association suisse Pallas, ils ont déjà douze années d’expérience à leur actif. D’emblée, une élève leur demande pourquoi le cours est réservé aux filles, «alors que pleins de garçons, aussi, sont mal dans leur peau et peinent à s’affirmer».
«Organiser une activité réservée aux filles suscite beaucoup de questions. Certains enseignants et élèves garçons ne comprennent pas, se sentent exclus», avait prévenu Francine Novel. Et de rappeler que la réflexion sur la construction de la masculinité se mène dans le cadre des cours de santé et d’éducation sexuelle. Selon elle, le lien entre estime de soi et possibilité de se consacrer à des études est très clair. «Le rapport au savoir est d’autant plus mauvais que l’est l’estime de soi.»
Savoir poser les limites«L’atelier non-mixte permet de se sentir à l’aise, sans regard jugeant ou critique, rapport de force ou jeu de séduction», répond Nadia Borel. «Notre travail est de répondre aux besoins spécifiques des femmes, plus nombreuses à être victimes d’agressions que les hommes», ajoute son collègue Nicolas Pontinelli. «Vous allez prendre conscience de vos propres forces, acquérir des techniques simples, c’est-à-dire celles qui fonctionnement quand nos moyens sont limités par la peur, pour ne pas rester paralysée et oser se défendre.»
Le cours commence par des jeux de rôle, histoire de travailler sur le langage corporel, l’attitude dégagée au quotidien, inconsciemment. Puis vient la défense verbale, face à un collègue ou un chef trop affectueux, savoir dire «je ne veux pas qu’on me touche, ça m’est désagréable». «Attention à ne pas émettre de mauvais signaux avec son corps, il faut être très clair sur ce qu’on autorise l’autre à faire ou pas. Plus vite on sait ce qu’on veut, plus vite on coupe l’escalade, moins on est en danger. Ce qui est d’autant plus difficile qu’on vous complimente», avertit Nadia Borel. «Mais on est en droit de poser ces limites et d’attendre de l’autre qu’il les respecte.»
Enfin, en dernier recours, la réplique physique en cas d’agression: apprendre à se déplacer, se protéger, respirer, garder l’équilibre, viser les zones de vulnérabilité chez l’agresseur. «Nul n’est autorisé à vous agresser. Vous êtes obligée de vous défendre physiquement et de devoir faire mal. C’est un passage difficile car la plupart des femmes n’ont jamais frappé, elles sont plutôt élevées dans l’optique d’être de gentilles petites filles», reconnaît Nadia Borel. «Mais toutes en sont capables. Vous allez voir la force que vous avez!»
Vive émotionAu départ, les participantes ne se connaissent, voire ne s’estiment pas forcément. Rapidement viennent les rires, l’ambiance se décontracte. Au fil des heures, le climat évolue. Au manque d’assurance, à la gêne d’utiliser leur corps, de crier, d’entrer en contact physique avec l’autre, succède une attitude plus déterminée, plus affirmée, une prise de conscience de leur potentiel. Un lien de solidarité se crée également.
Avec des moment d’émotion. Comme lors de l’exercice de la planche. Chacune est appelée à venir au milieu du cercle formé par ses camarades pour briser une planche de bois avec la tranche de la main. Impressionnant, forcément. D’autant que Nadia Borel a demandé aux élèves de noter sur cette planche quelque chose en elles dont elles souhaitent se débarrasser. Toutes ne révéleront pas de quoi il s’agit. D’autres évoquent le droit à continuer à vivre malgré le départ d’un être cher, le droit à la différence, la culpabilité, la peur, le harcèlement scolaire. Rendant universelles des problématiques relevant jusqu’alors du seul individu. Les larmes ne sont jamais loin. Epreuve réussie. «Voilà ce qui se passe quand on dépasse les limites avec vous!», se réjouit Nadia Borel
La dernière heure de la formation permet aux participantes de se retrouver en situation de danger, mais dans un cadre sécurisé. Pour la première fois de leur vie sans doute, elles ont le droit, «et même le devoir», de frapper un homme, Nicolas Pontinelli en l’occurrence, qui joue le «pantin», le rôle de l’agresseur, parfaitement protégé pour l’occasion.
Coups de pied, de coude et autre «patte du tigre». Les élèves ne perdent pas leur sang-froid. L’agresseur est à terre. «C’est formidable que ce cours soit dispensé dans le cadre de l’école. En particulier parce quand on rentre le soir chez soi, on n’est pas forcément accompagnée», raconte une participante. «Ce que j’ai appris ici, je ne l’aurais jamais appris dans ma famille, on n’éduque pas les filles ainsi. Et pourtant je connais des personnes qui auraient bien eu besoin de ce genre de formation», abonde une de ses camarades.
«J’espère que ça n’arrivera jamais car vous aurez réussi à anticiper les situations de danger. Mais au cas où, sachez que vous avez les ressources, il faut se défendre jusqu’au bout. Gardez en tête que vous aurez toujours un moment pour vous libérer», conclut Nadia Borel. «On ne renonce jamais, on tente toujours de se sortir d’affaire!» Il faut émanciper les filles comme les garçons»
Mais est-ce bien le rôle de l’école de travailler sur l’affirmation de soi des élèves et de proposer des cours de autodéfense? On pose la question, et quelques autres, à Franceline Dupenloup, responsable des questions d’égalité au Département de l’Instruction publique (DIP) du Canton de Genève
Est-ce le rôle de l’école que de proposer des cours de autodéfense à ses élèves et de travailler sur l’affirmation de soi?
Franceline Dupenloup: L’école estime que c’est son travail d’émanciper les filles comme les garçons. Ainsi dans le cadre des cours santé, les enseignants travaillent sur la déconstruction des stéréotypes véhiculés par les clips, la publicité et les médias – femmes hypersexualisées et soumises, situations de rivalité – et dont les filles sont submergées. Autant de modèles importés auxquels elles se sentent obligées de se conformer et susceptibles de créer de l’agressivité et du jugement entre filles. Car ces carcans engendrent de la souffrance et limitent leur liberté individuelle. Le décrochage scolaire est notamment lié à des processus de harcèlement et de mise à l’écart. Mieux vaut donc agir en amont que compter les coups.
Le DIP est-il réellement proactif sur ces questions?
Le Conseil d’Etat a dit que l’égalité était une de ses priorités. Mais il n’y a pas de budget dédié, les projets se réalisent sur une base volontaire et les établissements doivent à chaque fois monter des dossiers pour obtenir un financement ponctuel. Malgré cela, dans un nombre impressionnant d’établissements du secondaire I et II, et même à l’école primaire, on travaille sur ces questions de banalisation des insultes, du modèle de virilité, de la hiérarchie entre garçons et filles. De façon plurielle: conférences, présentations de films courts, lectures, prix Emilie-Gourd, etc.
Concrètement à quoi servent ces ateliers de autodéfense et pourquoi sont-ils non mixtes?
L’objectif, plutôt que de mettre les filles dans une position défensive et les garçons dans celle de coupables présumés, est de faire travailler les filles sur la réhabilitation de l’estime de soi. Ce qui, dans une première étape, est plus facile dans un groupe non-mixte. Nous visons à travailler sur leur capacité à dire «j’existe, j’ai ma place dans l’espace public, je ne rase pas les murs». A grandir pour se sentir plus libre.
N’est-ce pas d’une certaine façon paradoxal d’enseigner des techniques de combat pour résoudre des problèmes de violence?
Il s’agit uniquement d’auto-défense, c’est-à-dire savoir comment répondre en cas d’agression en engageant son corps, avoir conscience de sa capacité à ne pas être terrorisée ou repliée sur soi, savoir évaluer le danger et répliquer de façon adéquate. Certaines seront plus à l’aise avec des mots, d’autres avec leur corps. Nous devons ouvrir des voies différentes pour happer des élèves qui parfois sont enfermées dans le mutisme et la résignation.
Certains garçons sont également victimes de violences. L’école intervient-elle pour les aider, et si oui comment?
Nous y travaillons de manière différenciée, en interrogeant avec eux les stéréotypes liés à la masculinité. En effet, la violence s’abat également sur les jeunes garçons, qu’ils soient homos ou hétéros, parce que l’image qu’ils renvoient, parfois simplement liée à leur façon de s’habiller, ne correspond pas au modèle, illusoire, d’une virilité fabriquée.
En quoi cette souffrance s’exprime-t-elle différemment chez les garçons et les filles?
Chez les garçons, ce qui est brisé, c’est la parole. L’expression des émotions, qui parfois sont comme gelées, est un long chemin pour beaucoup d’entre eux. Chez les filles, le corps est enfermé dans des codes vestimentaires, un espace social où les insultes sexistes sont banalisées, une attitude de repli sur soi.
Observez-vous une évolution de la situation par rapport à il y a dix ou vingt ans?
Nous assistons à un réveil après une période où on pensait que les problèmes se régleraient tout seuls. Il y a eu une banalisation des insultes contre les filles et les homosexuels, on s’est beaucoup trop habitué au dénigrement des filles et des minorités. Aujourd’hui, on bénéficie d’une nouvelle génération d’enseignants, mais aussi de l’arrivée à des postes de direction de personnes qui veulent prendre en main le climat scolaire en réalisant des projets sur la base de valeurs émancipatrices, et ce par le biais d’actions qu’on peut qualifier d’exemplaires. Enfin la FAPPO, la Fédération des associations des parents du postobligatoire, est notre alliée indéfectible.
Les écoles de culture générale sont-elles davantage concernées par ces problématiques de violence que les collèges, par exemple?
Non, nous les retrouvons partout. Par contre, nous devrons désormais déployer un effort spécifique dans les filières professionnelles. Au Centre de formation professionnelle construction (CFPC), on a rencontré des problèmes car les filles y sont tout-à-fait minoritaires.
Ces projets permettent-ils vraiment de faire évoluer le climat scolaire?
Selon les directions, une fois qu’un projet a été bien mené, le climat scolaire s’en trouve apaisé. Dans des classes où la parole circulait difficilement, des choses ont pu être dites, ou révélées parfois. Cela peut permettre de décoincer des situations potentiellement dangereuses et porteuses de violences ou d’inverser un processus de mise à l’écart et de créer de la solidarité.
PROPOS RECUEILLIS PAR CPR Le Courrier
Médias
Madeleine von Holzen | 20-07-2007 | Tribune de Genève
Elles sont assises en cercle parterre et témoignent, veulent expliquer et montrer ce qu'elles ont appris. Elles sont heureuses, fières d'elles, enthousiastes. Les mots sont forts, les émotions palpables. Elodie, Caroline, Maïté et les autres, de tous les âges et tous les horizons, sont venues pour diverses raisons dans ce dojo de Dardagny, dans la campagne genevoise. Victime d'une agression, adolescente à la recherche de plus d'assurance dans la cours de l'école, ou sans motif apparent. Toutes ont suivi un cours de formation à l'auto-défense de Pallas. Certaines depuis plusieurs mois, d'autres viennent de terminer. Toutes donnent un message fort: leur vie a changé.
Pallas (du nom de la déesse grecque de la sagesse Pallas Athena) est une organisation suisse fondée en 1994 en faveur de l'autodéfense pour femmes et jeunes filles. L'organisation donne des cours dans tout le pays. Les formateurs genevois, Nadia Borel et Nicolas Pontinelli travaillent ponctuellement avec les institutions sur le terrain comme la LAVI, qui reçoit les victimes de violence. Les cours de Fem Do Chi organisés par Espace Prévention dans le canton de Vaud et Viol-Secours à s'appuient sur les mêmes principes.
Apprendre à dire nonLe cours de base Pallas (8 séances de deux heures trente) qu'ont suivi ces femmes commence par des choses qui peuvent paraître simples, mais posant des fondements indispensables. Apprendre à dire non. Le dire fortement, clairement, le dire avec tout son corps. Verbaliser ce que l'autre fait, avec les mots justes et précis. «Tu as la main sur ma cuisse, lâche ma cuisse» au lieu de «lâche-moi». Mettre des limites. Dire stop.
Il y a ensuite les gestes. L'esquive pour éviter un coup, ceux qui créent «le choc» et permettent de fuir, et toutes les techniques qui amènent les femmes à prendre conscience du fait qu'elles peuvent se défendre face à n'importe quel homme, quel que soit son poids, sa taille et sa force. Comment? En frappant correctement et au bon endroit. En apprenant la réaction à avoir pour se dégager de saisies. Les techniques utilisées sont issues des arts martiaux et en utilisent toute la variété des méthodes (blocs, chocs, frappes, combat au sol, etc).
Et la démonstration est parlante: toutes ces femmes, même les plus fluettes en apparence, frappent dans les coussins avec une force impressionnante. L'énergie est là, elle a émergé. Certains cris sont d'une puissance incroyable, sortent des tripes. Face à ce que les formateurs appellent «le pantin», un homme muni de toutes les protections permettant aux femmes de frapper un agresseur et d'apprendre, elles sont aussi complètement convaincantes. Capables de se défendre.
«La peur peut engendrer deux phénomènes physiques: soit elle fige la personne, la paralyse, et celle-ci ne peut plus rien faire du tout. Ou alors l'adrénaline produite donne une puissance et une énergie phénoménale aux femmes», explique Nadia Borel. C'est évidemment le deuxième mécanisme que les professionnels de l'auto-défense veulent stimuler. «Déclencher le cerveau reptilien, ce mécanisme de survie qui permet aux femmes de se défendre.»
Pourquoi celui-ci est-il parfois bloqué? L'éducation, la socialisation, les rôles que l'on fait prendre dès leur plus jeune âge aux filles sont dans la plupart des cas à la base du problème. Une mauvaise estime de soi, qui peut exister pour toutes sortes de raisons, ajoute une fragilité qui transforme la femme (ou l'homme) en victime, une proie idéale pour un agresseur qui s'attaque aux plus faibles.
Cesser d'être «gentille»«Dans notre société aujourd'hui, une femme doit s'occuper des autres, être douce, maternante, elle ne doit pas se mettre en colère, explique Isabelle Chatelain, permanente à Viol-Secours Genève et animatrice Fem Do Chi. L'attitude qui en découle est celle de la retenue, de la culpabilité, de la victimisation.» La femme ne se met pas en position de se défendre, même face à des agressions quotidiennes faussement anodines. «A force d'être douce gentille, souriante, on ne sait plus quoi faire face à une agression» raconte Sally, une des participantes au cours Pallas. «La bête en nous s'est endormie. Ce cours la réveille. Elle pourra réagir en cas de besoin.»
Les discussions font partie intégrante de l'apprentissage, ainsi que les jeux de rôle. Qu'est-ce que la violence, quels sont les droits des femmes, quels mythes sont véhiculés. Faire comprendre par exemple que se défendre ne signifie pas prendre un risque supplémentaire face à l'agresseur. Autant d'éléments qui permettent aux femmes de prendre conscience de manière très large de leurs moyens et de changer d'état d'esprit. «Les gens pensent souvent que l'auto-défense se borne à enseigner des techniques de frappe, avance Nicolas Pontinelli. C'est une démarche beaucoup plus globale.»
La mise en scène des situations simples du quotidien permet d'engager le changement d'attitude. Et le travail sur les émotions fait partie intégrante de la démarche, chez Pallas ou Fem Do Chi. Viol-Secours met par ailleurs en garde contre la mauvaise qualité de certains cours sur le marché, et lesconséquences très négatives qu'ils peuvent avoir sur les participantes. Notamment celles de leur donner le sentiment que précisément elles ne pourront rien faire face à un homme comme le professeur un comble! Par contre, bien enseignée, l'auto-défense transforme la vie des femmes.
Maïté le raconte parfaitement. Elle s'est retrouvée récemment dans un parking, face à un homme saoul assis à côté de l'ascenseur. «Par le passé, j'aurais pris les escaliers. Là, je me suis dit que s'il se levait et m'agressait, il suffisait que je le pousse pour qu'il tombe.» Résultat: il s'est levé et elle a parlé avec lui. Ils ont même plaisanté. D'autres femmes parlent de leur rapports aux autres dans le travail, ou encore en couple, qui évoluent. «Je sais de quoi je suis capable, je n'ai plus peur, j'ai pris de l'assurance» résume cette jeune fille. Poser son fardeauRépondre de manière adéquate à tout type d'agressions et refuser tout ce qui provoque de l'inconfort, voilà l'objectif. «Il n'y a aucune raison d'accepter des gestes ou des remarques, mêmes prétendument banales, qui dérangent. Chaque personne a le droit de le refuser, en répondant de manière proportionnée à l'agression, toujours», rappelle Nadia Borel. Toutes les femmes viennent ici avec un «paquet», plus ou moins lourd, sourit la formatrice. Les participantes le disent toutes à leur manière: chacune d'entre elles a posé son son paquet et repart plus libre, mieux. Sally, 41 ans a vécu une agression grave. Elle témoigne avec force: «ce cours, toutes les femmes devraient le suivre». Idéalement sous forme de prévention, pour éviter le pire.