L’autodéfense, ça s’apprend

   Lundi 14 décembre 20


  Christiane Pasteur

   A Genève, l’Ecole de culture générale Jean-Piaget propose depuis 2013 un atelier  

   d’autodéfense réservé aux élèves filles.Nous l'avons suivi avec elles.























Alors que leurs camarades de classe ont congé, elles sont une douzaine d’élèves de 16-17 ans, et quatre membres du corps enseignant et de l’encadrement scolaire, à être restées à l’école en ce mercredi après-midi. Volontaires pour participer à un atelier d’autodéfense non-mixte intitulé «Affirmation de soi» et organisé, depuis 2013, sous la houlette du groupe égalité de l’Ecole de culture générale (ECG) Jean-Piaget, à Genève.


Un projet pilote qui a reçu le soutien du Département de l’instruction publique (lire ci-dessous) et s’inscrit plus largement dans le cadre de la «lutte contre les discriminations, qui relève de notre rôle de service public», selon les mots de Francine Novel, directrice de l’établissement


Il est 12h30, l’atelier peut débuter. Nadia Borel et Nicolas Pontinelli, seule présence masculine tolérée, dispensent le cours, en forme de «trousse de premiers secours». Formés par l’association suisse Pallas, ils ont déjà douze années d’expérience à leur actif. D’emblée, une élève leur demande pourquoi le cours est réservé aux filles, «alors que pleins de garçons, aussi, sont mal dans leur peau et peinent à s’affirmer».


«Organiser une activité réservée aux filles suscite beaucoup de questions. Certains enseignants et élèves garçons ne comprennent pas, se sentent exclus», avait prévenu Francine Novel. Et de rappeler que la réflexion sur la construction de la masculinité se mène dans le cadre des cours de santé et d’éducation sexuelle. Selon elle, le lien entre estime de soi et possibilité de se consacrer à des études est très clair. «Le rapport au savoir est d’autant plus mauvais que l’est l’estime de soi.»


Savoir poser les limites

«L’atelier non-mixte permet de se sentir à l’aise, sans regard jugeant ou critique, rapport de force ou jeu de séduction», répond Nadia Borel. «Notre travail est de répondre aux besoins spécifiques des femmes, plus nombreuses à être victimes d’agressions que les hommes», ajoute son collègue Nicolas Pontinelli. «Vous allez prendre conscience de vos propres forces, acquérir des techniques simples, c’est-à-dire celles qui fonctionnement quand nos moyens sont limités par la peur, pour ne pas rester paralysée et oser se défendre.»


Le cours commence par des jeux de rôle, histoire de travailler sur le langage corporel, l’attitude dégagée au quotidien, inconsciemment. Puis vient la défense verbale, face à un collègue ou un chef trop affectueux, savoir dire «je ne veux pas qu’on me touche, ça m’est désagréable». «Attention à ne pas émettre de mauvais signaux avec son corps, il faut être très clair sur ce qu’on autorise l’autre à faire ou pas. Plus vite on sait ce qu’on veut, plus vite on coupe l’escalade, moins on est en danger. Ce qui est d’autant plus difficile qu’on vous complimente», avertit Nadia Borel. «Mais on est en droit de poser ces limites et d’attendre de l’autre qu’il les respecte.»


Enfin, en dernier recours, la réplique physique en cas d’agression: apprendre à se déplacer, se protéger, respirer, garder l’équilibre, viser les zones de vulnérabilité chez l’agresseur. «Nul n’est autorisé à vous agresser. Vous êtes obligée de vous défendre physiquement et de devoir faire mal. C’est un passage difficile car la plupart des femmes n’ont jamais frappé, elles sont plutôt élevées dans l’optique d’être de gentilles petites filles», reconnaît Nadia Borel. «Mais toutes en sont capables. Vous allez voir la force que vous avez!»


Vive émotion

Au départ, les participantes ne se connaissent, voire ne s’estiment pas forcément. Rapidement viennent les rires, l’ambiance se décontracte. Au fil des heures, le climat évolue. Au manque d’assurance, à la gêne d’utiliser leur corps, de crier, d’entrer en contact physique avec l’autre, succède une attitude plus déterminée, plus affirmée, une prise de conscience de leur potentiel. Un lien de solidarité se crée également.


Avec des moment d’émotion. Comme lors de l’exercice de la planche. Chacune est appelée à venir au milieu du cercle formé par ses camarades pour briser une planche de bois avec la tranche de la main. Impressionnant, forcément. D’autant que Nadia Borel a demandé aux élèves de noter sur cette planche quelque chose en elles dont elles souhaitent se débarrasser. Toutes ne révéleront pas de quoi il s’agit. D’autres évoquent le droit à continuer à vivre malgré le départ d’un être cher, le droit à la différence, la culpabilité, la peur, le harcèlement scolaire. Rendant universelles des problématiques relevant jusqu’alors du seul individu. Les larmes ne sont jamais loin. Epreuve réussie. «Voilà ce qui se passe quand on dépasse les limites avec vous!», se réjouit Nadia Borel


La dernière heure de la formation permet aux participantes de se retrouver en situation de danger, mais dans un cadre sécurisé. Pour la première fois de leur vie sans doute, elles ont le droit, «et même le devoir», de frapper un homme, Nicolas Pontinelli en l’occurrence, qui joue le «pantin», le rôle de l’agresseur, parfaitement protégé pour l’occasion.


Coups de pied, de coude et autre «patte du tigre». Les élèves ne perdent pas leur sang-froid. L’agresseur est à terre. «C’est formidable que ce cours soit dispensé dans le cadre de l’école. En particulier parce quand on rentre le soir chez soi, on n’est pas forcément accompagnée», raconte une participante. «Ce que j’ai appris ici, je ne l’aurais jamais appris dans ma famille, on n’éduque pas les filles ainsi. Et pourtant je connais des personnes qui auraient bien eu besoin de ce genre de formation», abonde une de ses camarades.


«J’espère que ça n’arrivera jamais car vous aurez réussi à anticiper les situations de danger. Mais au cas où, sachez que vous avez les ressources, il faut se défendre jusqu’au bout. Gardez en tête que vous aurez toujours un moment pour vous libérer», conclut Nadia Borel. «On ne renonce jamais, on tente toujours de se sortir d’affaire!»  Il faut émanciper les filles comme les garçons»


Mais est-ce bien le rôle de l’école de travailler sur l’affirmation de soi des élèves et de proposer des cours de autodéfense? On pose la question, et quelques autres, à Franceline Dupenloup, responsable des questions d’égalité au Département de l’Instruction publique (DIP) du Canton de Genève



Est-ce le rôle de l’école que de proposer des cours de autodéfense à ses élèves et de travailler sur l’affirmation de soi?


Franceline Dupenloup: L’école estime que c’est son travail d’émanciper les filles comme les garçons. Ainsi dans le cadre des cours santé, les enseignants travaillent sur la déconstruction des stéréotypes véhiculés par les clips, la publicité et les médias – femmes hypersexualisées et soumises, situations de rivalité – et dont les filles sont submergées. Autant de modèles importés auxquels elles se sentent obligées de se conformer et susceptibles de créer de l’agressivité et du jugement entre filles. Car ces carcans engendrent de la souffrance et limitent leur liberté individuelle. Le décrochage scolaire est notamment lié à des processus de harcèlement et de mise à l’écart. Mieux vaut donc agir en amont que compter les coups.


Le DIP est-il réellement proactif sur ces questions?


Le Conseil d’Etat a dit que l’égalité était une de ses priorités. Mais il n’y a pas de budget dédié, les projets se réalisent sur une base volontaire et les établissements doivent à chaque fois monter des dossiers pour obtenir un financement ponctuel. Malgré cela, dans un  nombre impressionnant d’établissements du secondaire I et II, et même à l’école primaire, on travaille sur ces questions de banalisation des insultes, du modèle de virilité, de la hiérarchie entre garçons et filles. De façon plurielle: conférences, présentations de films courts, lectures, prix Emilie-Gourd, etc.


Concrètement à quoi servent ces ateliers de autodéfense et pourquoi sont-ils non mixtes?


L’objectif, plutôt que de mettre les filles dans une position défensive et les garçons dans celle de coupables présumés, est de faire travailler les filles sur la réhabilitation de l’estime de soi. Ce qui, dans une première étape, est plus facile dans un groupe non-mixte. Nous visons à travailler sur leur capacité à dire «j’existe, j’ai ma place dans l’espace public, je ne rase pas les murs». A grandir pour se sentir plus libre.


N’est-ce pas d’une certaine façon paradoxal d’enseigner des techniques de combat pour résoudre des problèmes de violence?


Il s’agit uniquement d’auto-défense, c’est-à-dire savoir comment répondre en cas d’agression en engageant son corps, avoir conscience de sa capacité à ne pas être terrorisée ou repliée sur soi, savoir évaluer le danger et répliquer de façon adéquate. Certaines seront plus à l’aise avec des mots, d’autres avec leur corps. Nous devons ouvrir des voies différentes pour happer des élèves qui parfois sont enfermées dans le mutisme et la résignation.


Certains garçons sont également victimes de violences. L’école intervient-elle pour les aider, et si oui comment?


 Nous y travaillons de manière différenciée, en interrogeant avec eux les stéréotypes liés à la masculinité. En effet, la violence s’abat également sur les jeunes garçons, qu’ils soient homos ou hétéros, parce que l’image qu’ils renvoient, parfois simplement liée à leur façon de s’habiller, ne correspond pas au modèle, illusoire, d’une virilité fabriquée.


En quoi cette souffrance s’exprime-t-elle différemment chez les garçons et les filles?


Chez les garçons, ce qui est brisé, c’est la parole. L’expression des émotions, qui parfois sont comme gelées, est un long chemin pour beaucoup d’entre eux. Chez les filles, le corps est enfermé dans des codes vestimentaires, un espace social où les insultes sexistes sont banalisées, une attitude de repli sur soi.


Observez-vous une évolution de la situation par rapport à il y a dix ou vingt ans?


Nous assistons à un réveil après une période où on pensait que les problèmes se régleraient tout seuls. Il y a eu une banalisation des insultes contre les filles et les homosexuels, on s’est beaucoup trop habitué au dénigrement des filles et des minorités. Aujourd’hui, on bénéficie d’une nouvelle génération d’enseignants, mais aussi de l’arrivée à des postes de direction de personnes qui veulent prendre en main le climat scolaire en réalisant des projets sur la base de valeurs émancipatrices, et ce par le biais d’actions qu’on peut qualifier d’exemplaires. Enfin la FAPPO, la Fédération des associations des parents du postobligatoire, est notre alliée indéfectible.


Les écoles de culture générale sont-elles davantage concernées par ces problématiques de violence que les collèges, par exemple?


Non, nous les retrouvons partout. Par contre, nous devrons désormais déployer un effort spécifique dans les filières professionnelles. Au Centre de formation professionnelle construction (CFPC), on a rencontré des problèmes car les filles y sont tout-à-fait minoritaires.


Ces projets permettent-ils vraiment de faire évoluer le climat scolaire?


Selon les directions, une fois qu’un projet a été bien mené, le climat scolaire s’en trouve apaisé. Dans des classes où la parole circulait difficilement, des choses ont pu être dites, ou révélées parfois. Cela peut permettre de décoincer des situations potentiellement dangereuses et porteuses de violences ou d’inverser un processus de mise à l’écart et de créer de la solidarité. PROPOS RECUEILLIS PAR CPR

 

Le Courrier

ARTICLES DE PRESSE

JACA

JU-JITSU   AUTODEFENSE  CHAMPAGNE-AVULLY